Très chers amis de Deir Mar Musa,
J'écris de l'une des chambres du tout récent Monastère du Tisserand (Deir el-Hayek) qui se trouve à environ 200 mètres du monastère principal. Il a été érigé sur le lieu d'un vieil ermitage rupestre. Son nom provient d'un ancien moine tisserand qui travaillait dans une grotte à fabriquer des étoffes en poils de chèvre pour des tentes ou des tapis. Il se servait d'un métier à tisser rudimentaire que certains anciens du village jurent avoir vu dans leur jeunesse. Un tiers de ce projet "fou" est déjà terminé. Un chemin serpente depuis le bas de la terrasse du vieux monastère pour traverser la vallée par un pont "audacieux", en acier, de 18 mètres de longueur. Plus de 200 marches, à flan de coteau, vous mènent, en direction du sud-est, à Deir el-Hayek. Avec l'habitude, il nous faut maintenant moins de 10 minutes pour effectuer l'aller-retour.
Dix chambres et quatre salles de bain sont déjà amenagées dans le Monastère du Tisserand. Une petite cuisine provisoire a été installée dans un conduit, où un ascenseur sera construit plus tard, si Dieu le veut, par une future génération de moines pour aider les personnes âgées...
Une porte sépare, et rend autonome, la partie du monastère déjà construite de ce qui reste à ériger. Nous pouvons ainsi utiliser les chambres durant la progression du chantier.
Pour l'instant, Deir el-Hayek accueille cinq personnes - hommes et femmes - engagés, avec mon aide, dans un mois d'exercices spirituels ignaciens.
Un escalier métallique en colimaçon mène à l'ancien ermitage où une chapelle a été aménagée dans la grotte afin que les retraitants puissent prier et méditer. L'endroit est silencieux et s'ouvre sur l'infini de la montagne et du plateau désertique. La chapelle rupestre a donc une résonnance spéciale; on peut sentir la force de la vie spirituelle des nombreuses générations de moines qui s'y sont succédés au fil des siècles.
L'électricité 12 volt est disponible grâce au générateur du puits via un long cable. Le générateur est situé en contrebas, à l'entrée de la vallée, près du parking qui termine la nouvelle route goudronnée menant à Deir Mar Musa. Ce même générateur actionne le "téléphérique" de 500 mètres de long qui achemine les matériaux de construction jusqu'au site de Deir el-Hayek. L'eau est puisée du puits oriental via l'ancient monastère. Nous pouvons accéder au puits occidental, grâce à 2 kilomètres de tuyau, qui désservent aussi l'autre ermitage en haut de la montagne. (Cet ermitage avait été construit pour le Petit Frère Donenico qui est parti maintenant. Nous le partageons désormais avec les Petits Frères et Petites Soeurs de Jésus de Syrie et du Liban.)
Des tuyaux alimentent également le marteau piqueur pneumatique. Ils descendent du compresseur diesel au sommet de la montagne, juste à côté de notre premier et glorieux téléphérique. Ce marteau piqueur s'est montré essentiel pour construire le chemin jusqu'à Deir el-Hayek ainsi que pour asseoir les fondations de ce bâtiment. Nous l'utilisons dorénavant pour planter quelques arbres et buissons, et pour ériger le petit barrage en pierres, dans le wadi, juste au-dessus des deux vieux oliviers. Nous espérons ainsi avoir un petit lac saisonnier qui s'étendra jusqu'au vieux cimetière en amont du monastère. (Nous avons plannifié la restauration de ce cimetière. Nous prévoyons la construction d'un mur pour tenir nos chèvres à l'écart ainsi que la plantation de quelques oliviers et pieds de vigne pour l'aggrémenter.) Les travaux du barrage vont bon train. Nous pouvons actuellement stocker un peu plus de 900 m3 d'eau. Nous n'avons eu que très peu de pluie ces derniers temps et la vallée est par conséquent très sèche. Quand ce barrage sera fini, nous doublerons cette capacité. L'eau ainsi emmagasinée sera utilisée pour irriguer le pâturage controlé au pied du monastère, la pépinière ainsi que les futures plantations. Nous sommes extrèmement fiers, qu'après dix années d'expérience, notre équipe de travailleurs, menée par l'ingénieur Mr Ziyad, soit maintenant capable de soulever de très lourdes pierres en utilisant des techniques toutes simples.
Notre activité de bâtisseurs peut être considérée comme frénétique. Il faut la comprendre dans le contexte d'évolution rapide, tant sociale que territoriale, de notre région. L'équilibre traditionnel agro-pastoral a été perdu à cause de la forte croissance démographique et de la modification de la signification de la terre et de la propriéte terrienne dans un monde plus technique, plus peuplé et plus individualiste. De fait, une nouvelle façon de définir la propriété terrienne doit être envisagée. C'est pourquoi le monastère mène à bien ces projets pour pouvoir conserver son espace vital ainsi que le silence nécessaire pour remplir son rôle spirituel pour le bien de tous.
La transformation de notre région a été profonde et l'évolution rapide depuis que les travaux de restauration ont débuté, il y a 20 ans. Il est vite devenu évident que nous aurions à anticiper les modifications de notre environnement pour garantir un futur raisonnable et significatif pour le monastère et pour lui conserver sa vocation propre. C'est dans ce contexte que le gouvernement syrien a créé le Parc Naturel "Vallée de Deir Mar Musa" pour nous épauler dans notre lutte contre la désertification de cette région.
C'est dans ce panorama général que le projet de Deir el-Hayek doit s'inscrire pour assurer un espace de silence et de reccueillement ainsi qu'un lieu d'habitation plus autonome pour les femmes de la communauté.
Le projet prévoit aussi la réalisation d'une salle polyvalente pouvant accueillir 70 personnes pour des activités spirituelles autant que culturelles, d'une cuisine, d'un porche - pour relier et agrandir l'espace devant la chapelle rupestre - ainsi qu'une vingtaine de chambres individuelles pour les membres de la communauté et leurs hôtes.
Depuis le 11 septembre, le tourisme international, en Syrie, et par conséquent au monastère, est tombé à un niveau jamais vu auparavant. (Vous pouvez consulter ma lettre ouverte à l'ambassadeur des USA à Damas sur notre site internet). Le tourisme local s'est ralenti lui aussi à cause de l'économie stagnante. C'est pourquoi nous devons travailler dur pour la reprise. L'atelier traditionnel, en mars, sera dédié cette année au tourisme environnemental et regroupera les différents représentants de la société locale.
Il nous reste encore à trouver une organisation intéressée pour financer la construction, près du parking, d'un centre d'accueil pour les pélerins, les visiteurs et les touristes. Ainsi, les visites au monastère seront plus silencieuses, plus respectueuses de l'environnement et par conséquent, plus spirituelles.
Nous plannifions la reprise de la restauration des fresques au printemps 2002, avec l'école de restauration italo-syrienne, grâce à un financement européen dans un premier temps, et, nous l'espérons, italien par la suite. Dans le même temps, nous souhaitons refaire à neuf le toit de l'église, qui avait été rénové à la hâte, sans documentation adéquate en 1984.
Durant les années passées,( nous espérons si possible continuer dans le futur) nous avons réalisé une série d'initiatives, à caractère culturel et inter-religieux, avec l'aide de la Commission Européenne et de la Fondation Orseri. Un exemple typique est l'accroissement de notre bibliothèque dans sa partie consacrée au dialogue inter-religieux.
En septembre dernier, nous avons organisé une rencontre constructive avec de jeunes chrétiens en provenance de tout le Moyen-Orient. Le titre en était: "Je met mon espérance en toi". Quelques bons amis musulmans y ont apporté leur contribution positive. Nous publierons bientôt les textes des discussions et des discours en arabe. Un résumé en anglais sera publié avec la traduction de la déclaration finale sur notre site internet.
Cette lettre aux amis ressemble de plus en plus à un rapport annuel. Cependant, il est certain que notre "association amicale" est significative pour notre existence personnelle et considérable pour l'Eglise et pour la société.
Dans les années passées nous avons amplifié nos efforts pour aider les jeunes familles chrétiennes de Nebek et les décourager de s'expatrier. Nous voulons éviter la détérioration irréversible de l'équilibre entre les communautés musulmane et chrétienne qui constitue l'une des richesse du panorama socio-culturel local. Des résultats se font déjà sentir. Des prêts à taux zéro ont aidé au moins quatre familles à rester.
Nous voulons faire plus pour les familles et souhaitons construire cinq maisons à Nebek, pour les employés du monastère, sur un terrain que nous avons acheté près de l'église paroissiale. Mais, comme dit un proverbe arabe: "Un souffle de 20 secondes ne suffit pas au désir des voiles."
Un élément important est la qualité de notre groupe d'associés laïcs qui se bonifie avec le temps.
Marwan a fini son service militaire et a épousé Marwa en août dernier. Il est toujours impliqué dans l'activité du monastère, en même temps qu'il termine son diplôme universitaire de droit. Il s'occupe de consolider les relations avec les institutions et les organisations présentes dans notre région. Marwa a passé plusieurs mois à Rome pour apprendre la reliure et la restauration de livres dans l'atelier d'amis de Deir Mar Musa. Elle est revenue à son travail de bibliothécaire du monastère avec des idées neuves. Ils demeurent tous deux très engagés au service de la paroisse de Nebek.
Après avoir accompli son service militaire, Basel a obtenu son diplôme universitaire en anglais. Il lui reste encore deux années d'étude en Angleterre. Ensuite, nous désirons qu'il devienne l'élément clé pour faire avancer notre projet de développement du tourisme alternatif.
Nawras a terminé, à l'Université d'Alep, sa maîtrise, spécialisée dans la culture de l'amandier sauvage. Il souhaite poursuivre avec un doctorat. En même temps, il va lancer un nouveau programme dans la pépinière du monastère: la culture écologique de plantes médicinales et d'épices locales.
D'une manière générale, durant ces dernières années, la conscience professionnelle et la motivation morale de toute l'équipe de travailleurs a mûri. Ceci est vrai aussi bien en ce qui concerne l'amitié plus solide envers les musulmans que de la volonté, pour ces chrétiens plus engagés et plus proches de la communauté monastique, de former un groupe uni de travailleurs; c'est à dire, une authentique communauté évangélique, consciente de son rôle de levain et de sa vocation d'interaction positive dans le contexte social, à grande majorité musulmane dans lequel nous vivons. Nous pouvons remarquer également le développement des relations, en quantité et en qualité, entre les membres de notre communauté - consacrés ou laïcs - et les membres de la société musulmane locale. Mon amitié avec le Mr le maire est connue de tous. De même, les relations entre Marwa et ses voisins et amis d'école sont excellentes, ainsi que celles entre Huda et la femme du directeur d'un grand centre islamique de Damas. Amin le moustachu, contremaître de nos divers projets, s'entend, lui, très bien avec les différentes familles de travailleurs et avec les nombreux négociants avec qui il a affaire. C'est comme si, mises de côté les relations officielles, un esprit de dialogue et une authentique espérance apparaissent dans la vie de chacun et de la société locale, et ceci à partir de la voie spirituelle que Dieu a tracé pour cette communauté monastique.
A un autre niveau, nous considérons comme très positives nos relations avec ceux (que ce soit avec des individus ou avec des familles, syriens comme internationaux) qui partagent les aspects essentiels de notre spiritualité et qui s'engagent concrètement avec nous.
Je voudrais ici remercier notre ami Mr Stefano Bigi, qui dirige l'Association des Amis de Deir Mar Musa avec tant d'amour et d'engagement depuis plusieurs années. Il a maintenant passé le relais à Mr et Mme Toffanelli, de très vieux amis du monastère. Père Paolo baptisera leur premier fils durant son voyage à Milan en juin. Le Professeur Gianni Piccinelli est maintenamt l'éditeur de notre site internet. Merci beaucoup à tous ces volontaires et à tous ceux qui les ont aidés.
Il y a eu, pour les membres de la communauté monastique, une lente croissance et consolidation des individus qui a fait mûrir le noyau de la communauté. Il nous faut à présent aborder la délicate et exigeante décision d'envoyer Frère Jens et Soeur Huda à Rome pour étudier la théologie. Il nous reste encore à obtenir les bourses qui leur permettront d'assister au cours de philosophie et de théologie à l'Université Grégorienne pendant au moins cinq ans. Ils reviendraient en Syrie pour passer les étés avec leur communauté. En 2003, à la fin de ses trois années de noviciat, Frère Jihad devrait les rejoindre pour étudier, lui aussi, à Rome. L'année suivante, se sera le tour, si Dieu le veut, de Soeur Ramona (30 ans, originaire de Damas) d'aller les retrouver.
Nous sommes très heureux de vous parler du cadeau que la Divine Providence et la solidarité de l'Eglise nous ont fait. L'Evêque de Latina, au sud de Rome, a accepté notre demande d'utiliser la petite église et l'ancien couvent du Saint Sauveur qui se trouvent au coeur de la ville médiévale pittoresque de Cori, à une demi-heure de train de la capitale.Il est évident que l'église (avec l'aide de nos amis) aura besoin de restaurations et d'aménagements.
Il faut admettre que pour une jeune communauté comme la nôtre, notre dynamisme vocationnel est insuffisant. Nous sommes conscients que notre vocation n'est ni facile à comprendre ni à pratiquer. La vie consacrée n'est pas très à la mode de nos jours et notre Orient-Chrétien demeure dans un état de crise sociale douloureuse alors qu'il se projette vers un Occident désiré.
Dans ce contexte, nous considérons les interviews dans les médias très utiles pour élargir notre champs social - même si certains nous accusent de vouloir seulement nous "faire de la publicité gratuite". En fait, nous pensons avoir quelque chose à dire et voulons en témoigner. Nous souhaitons collaborer avec le Saint Esprit, celui qui envoie ses travailleurs pour la moisson du Royaume des Cieux. Mais il nous faut prier pour les vocations, en particulier pour ceux qui viendront, espérons en nombre suffisant, prendre la suite et assurer le futur de notre fonction ecclésiale.
C'est probablement maintenant le moment le plus opportun de vous parler de Père Jacques. Cela fait bientôt un an et demi qu'il assure les fonctions de prêtre paroissial de la petite ville de Qaryatayn. Il est responsable en outre de la restauration du monastère de Mar Eliyan tout proche. Pour ce faire, il est épaulé par nos amis, Emma et Daniel, deux excellents archéologues britanniques. Deir Mar Eliyan est un très vieux monastère dans le désert, à 50 kilomètres au nord-est de Deir Mar Musa. Les premières fouilles archéologiques se sont montrées très prometteuses. Quelques pièces ont déjà été restaurées et les bases d'un nouveau centre d'accueil ont été posées.
Père Jacques passe, en général, la moitié de la semaine avec sa communauté monastique à Deir Mar Musa. Nous lui avons acheté une petite voiture roumaine confortable pour lui permettre de se déplacer facilement et sans trop de complications en regard de ses gros problèmes de dos. Il "navigue" donc aisément sur le territoire de sa paroisse et occupe ainsi l'autre moitié de la semaine avec cette petite communauté chrétienne "à risque d'extinction". Vous pourrez avoir connaissance des derniers détails le concernant en consultant la page réservée à Qaryatayn sur notre site internet.
La présence de Père Jacques à Qaryatayn et ses différents succès pastoraux rendent son rôle dans notre communauté plus mature et plus important. Nous prévoyons que Deir Mar Eliyan évolue en une communauté monastique dépendante de Deir Mar Musa, de manière à former un seul corps monastique.
Dans les prochains mois nous allons réécrire la Constitution de la Communauté Monastique de Deir Mar Musa pour demander au Saint Siège, à Rome, d'approuver notre mode de vie religieuse. L'approbation de notre communauté dépend de la sympathie et des sentiments paternels du Cardinal Moussa Daud, Préfet des Congrégations Orientales du Vatican, qui était encore, il n'y a pas si longtemps, notre évêque et le patriarche de notre Eglise d'Antioche.
En se projetant dans le futur et en se rappelant nos rêves pakistanais, iraniens et Dieu sait ou encore, nous avons pensé donner à notre communauté la forme canonique d'une "confédération de monastères", avec Deir Mar Musa comme Monastère Mère et centre de coordination. Nous pensons également que notre Eglise Syriaque Catholique d'Antioche peut et doit être une église missionnaire, capable d'exprimer ses préoccupations universelles, sur la base de son expérience historique avec le monde musulman. La présence à Rome du Cardinal Moussa Daud, la considération et l'affection montrée par notre patriarche Butros Abd el-Ahad et l'amitié avec notre évêque George Kassab consituent pour nous autant de signes providentiels sur le sentier difficile que nous parcourons pour réaliser notre charisme particulier en l'Eglise Universelle.
Nous voici maintenant à la fin de notre "rapport annuel". Il sera publié sur internet, mais j'espère que ceux qui le recevront, l'imprimeront et le donneront à leurs connaissances qui pourraient être intéressées par ce que nous construisons à Deir Mar Musa.
Laissez-moi être franc: Le futur du monastère dépend de la solidarité de chacun de vous, maintenant et peut-être encore pour les 50 années à venir! Il y a plusieurs façons de nous aider, comme indiqué à la fin de cette lettre, mais la plus belle de toutes est de montrer votre soutien en venant nous voir, ou de donner un peu de votre temps et de vos prières depuis chez vous.
En tant que communauté de moines et moniales consacrés à l'amour de Jésus pour le monde musulman, nous nous considérons comme le fruit de votre solidarité amicale. Très spontanément et régulièrement, nous nous souvenons de vous et de vos proches devant le Seigneur.
Tous nos voeux cordiaux à vous et à vos familles pour toutes les belles fêtes de l'année et pour la vérité de chaque jour.
Un baiser d'amour à chacun de vous.
Père Paolo.