Chers Amis,
Dans la lumière de la Résurrection, dans l’annonce de paix du Seigneur, dans son souffle de réconciliation, dans son corps d’Agneau toujours égorgé, dans la blessure fertile de son cœur, en embrassant ses mains et ses pieds torturés, nous venons à vous pour vous assurer que nous sommes, par la grâce de Dieu, solides dans la foi, consolés par l’espérance et passionnés d’amour en ce temps tragique et infiniment régénérateur pour notre Patrie arabe, dans ce monde musulman qui est toute notre préoccupation au nom de l’Église.
Etant une communauté monastique et non pas un parti politique, il nous est dificile d’offrir une analyse unanime des événements en cours. Il est cependant impossible de taire l’expression de notre profonde douleur face à la logique de violence qui provoque des souffrances insoutenables. La demande de larges réformes institutionnelles est ainsi mortifiée. Nous exprimons, dans une prière de larmes et dans le renouvellement de notre engagement d’hospitalité sans condition, notre solidarité avec toutes les victimes du conflit en cours.
Parmi les chrétiens de notre pays, certains pensent qu’il n’y a d’alternatives qu’entre la répression ou la soumission humiliante à l’éventuelle dictature de la majorité. Nous avons toujours cru, au contraire, qu’il est possible de bâtir graduellement une société démocratique et pluraliste, capable de garantir aussi les droits des minorités religieuses et ethniques et la dignité de tous.
Nous continuons à prôner la non-violence. Le conflit se nourrit de peurs réciproques. Seul le dialogue préoccupé du point de vue de l’autre amène à la réconciliation dans la justice.
Les dommages soufferts par la société syrienne sont déjà irréparables. Demandons à la patience aimante de Dieu de nous montrer quel est notre devoir aujourd’hui. Reste qu’en perspective nous croyons que la démocratie mûre n’est pas un luxe occidental ni une déviation idéologique. Dans son discours aux ministres, le Président syrien a dit que les peuples arabes sont capables de démocratie autant que les autres !
La Syrie est coincée entre le Liban des divisions confessionnelles, l’Irak de l’insécurité ambiante et de l’éclatement sectaire, et Israël toujours perçu comme ennemi. Vu les forces et les intérêts en jeu, c’est l’unité nationale que l’on risque ; et sa perte même coûterait une longue et sanglante guerre civile. Notre conviction est qu’une vaste majorité de Syriens se reconnaît encore dans une seule indivisible communauté civilisationnelle. Il reste à espérer qu’une plus large liberté d’expression puisse rendre possible une vaste consultation nationale, seule capable de préparer une alternative non sanglante.
Nous voulons encore croire et nous sommes prêts à participer, dans le cadre de nos devoirs monastiques, à ce travail de discernement et de défrichage aussi difficile qu’urgent.
Il s’agit aussi de mettre en valeur la puissance de renouveau représentée par les jeunes. Cela en vue de l’émergence d’une société civile démocratique et pluraliste qui puisse libérer le comportement individuel de la mécanique des appartenances claniques et confessionnelles.
Nous prions pour que le cercle vicieux de la vengeance ne s’impose pas, qu’un moyen soit trouvé pour arrêter la dérive violente, et que d’ailleurs la maturité de notre peuple puisse désamorcer toute tentation terroriste.
La réconciliation entre tous est notre plus profond désir. Justice et pardon se soutiennent l’un l’autre. Dans le monastère nous assistons continuellement aux bienfaits de l’attitude de conversion possible grâce au don du pardon.
Cela fait trois décennies que nous sommes à Deir Mar Moussa et dix ans à Qaryatayn. La bonne volonté des gens est une vertu qui ne dépend pas complètement des conditions institutionnelles environnantes. Nous allons continuer à chercher partout et à promouvoir toujours ces bonnes volontés dans une pratique quotidienne de l’espérance. Dans ce sens, il faut le savoir, le choix de venir faire du tourisme dans notre pays devient un acte de solidarité efficace envers une société civile en difficulté.
Vos prières et vos aides nous remplissent de reconnaissance. La vie doit continuer quand-même. Il n’est pas difficile d’imaginer que dans la situation actuelle, nous avons quelques préoccupations matérielles de plus. Nous continuons nos projets dans le calme et la prudence (la nouvelle structure de production fromagère, désormais réalisée, est en train d’être mise en fonction ; les travaux pour rendre accessible le Couvent de al-Hayek aux personnes à mobilité réduite vont bon train ; l’engagement environnemental, et en particulier de lutte à la désertification, ne souffre pas de retard ; les travaux relatifs à la nouvelle hôtellerie sont entamés ; la construction d’appartements pour jeunes familles dans la paroisse de Nebek avance ; à Qaryatayn, les travaux de fouilles archéologiques, de construction, d’agriculture et d’artisanat continuent. A Cori, notre moine et nos moniales étudiants syriens expriment leur souffrance solidaire dans l’ascèse exigeante de leurs engagements scientifiques).
Merci donc, merci beaucoup de votre amitié !
En Orient, tout au long du temps pascal, nous nous souhaitons la bonne fête par l’annonce : « Le Christ est ressuscité ! » et par la réponse : « Il est vraiment ressuscité ! » C’est dans cet esprit que nous nous sommes adressés à vous dans la force de la Communion qui nous unit.
La Communauté de al-Khalil